Les Veilleurs de Sangomar, 2019, Albin Michel

Les Veilleurs de Sangomar de Fatou Diome : introduction

Découvrez la chronique rédigée par Leila Fortune Tsatchousur le livre Les Veilleurs de Sangomar de Fatou Diome.

Fatou Diome : Biographie

Fatou Diome est une femme franco-sénégalaise, née en 1968 sur l’île de Niodior, au Sud-Ouest du Sénégal. Enfant naturel, elle est élevée par sa grand-mère et plutôt que d’aider les femmes à préparer les repas et assurer les tâches ménagères, elle préfère les activités d’homme et ne ménage pas sa soif d’apprendre. Passionnée par la littérature francophone, elle va de petits boulots en petits boulots pour financer ses études et intègre l’université de Dakar pour devenir professeur de français.

Après son mariage avec un français, elle finit par s’installer à Strasbourg où elle divorce deux ans plus tard. Désormais seule et sans personne sur qui compter, elle doit travailler pour survivre et devient Professeure de Lettre et de Philosophie. Elle reçoit les insignes de doctorat honoris causa à l’Université de Liège en 2017.

La notoriété de Fatou DIOME devient internationale grâce à son roman Le Ventre de l’Atlantique. Ecrivaine engagée, elle dépeint dans ses œuvres divers phénomènes sociaux tels que l’immigration, la place de la femme dans la société en général et en Afrique en particulier ou encore la relation entre la France et l’Afrique.

En 2019, elle est lauréate du Prix littéraire des Rotary Clubs de langue Française pour son roman Les Veilleurs de Sangomar.

Les Veilleurs de Sangomar : présentation

Le 26 septembre 2002, entre Ziguinchor et Dakar, au large de l’île de Sangomar, une tragédie : le naufrage du Joola emporte avec lui des centaines d’âmes dont Bouba, le mari de Coumba. C’est la déchéance pour la jeune femme dont le bonheur à peine éclos de son mariage et la naissance de leur premier enfant ne laissaient rien présager d’une séparation aussi brutale. De retour dans le Niodior, leur village, c’est dans une incompréhension totale que Coumba entame les rites inhérents à son nouveau statut de veuve.

Durant quatre mois et dix jours, Coumba devra se plier aux diverses recommandations de son entourage. Mais dans son mutisme que ces derniers prennent pour une résignation digne de sa situation, Coumba ne se trouve plus sur les berges du Niodior, mais plutôt au large de l’île de Sangomar.

Sur ce bout de terre, les esprits ne dorment pas, ils veillent, et chaque soir, Coumba les appelle, désireuse de trouver la force de vivre et de revoir son bien-aimé. Passerelle entre le monde de la lumière et celui des ombres, Coumba se veut gardienne de leurs paroles. Dans son carnet, elle retranscrira son histoire, ainsi que ses visions, afin de ne pas oublier et peut-être, de trouver cet apaisement que l’on espère qu’une veuve éplorée trouvera durant sa période de viduité.

Autres œuvres de Fatou Diome :

  • Le Ventre de l’Atlantique (2003) ;
  • Kétala (2006) ;
  • Inassouvies, nos vies (2008) ;
  • Mauve (2010) ;
  • Celles qui Attendent (2010) ;
  • Marianne porte plainte ! (2017)

Les Veilleurs de Sangomar : avis

C’est à travers un lyrisme exacerbé, un réalisme frôlant les barrières du fantastique, et un humour singulier et audacieux, que Fatou DIOME nous parle du deuil.

Dès le début, les émotions de Coumba nous frappent, à tel point que, comme elle, nous ne savons plus qui nous sommes, où l’on est et où l’on va. L’auteure nous fait vivre ce deuil comme si c’était le nôtre et nous fait passer par toutes ses étapes.

Le déni, la culpabilité et la colère. C’est le moment où Coumba se replie sur elle-même au point de passer pour folle auprès de son voisinage. Mais dans la douleur, ne sommes-nous pas tous un peu fou ? Est fou celui qui ne voit pas ou alors celui qui voit au-delà ? A travers ce mythe de l’invisible, l’auteure nous pousse à nous interroger. Coumba portera un regard nouveau sur l’île de Sangomar, lieu de rassemblement des Djinns et des Pangôls, où elle laissera libre cours à sa colère et sa douleur.

Fatou DIOME met en relief le deuil occidental et le deuil africain. A celui des parents de Pauline et du mari d’Amanda, soumis à aucune règle, s’oppose des conceptions purement africaines. Sous ces eaux, le veuvage de l’épouse est très complexe suivant les peuples et les religions, et dans la tradition Sérère, la femme est soumise à des pratiques strictes où elle n’est plus maîtresse d’elle-même. Entre des coutumes archaïques et dégradantes, l’indifférence des uns face à sa douleur, et les recommandations hypocrites des autres, Coumba se mue dans le silence le jour, pour rejoindre ses interlocuteurs immatériels la nuit.

Dans ce récit, l’auteure nous parle d’amour. L’amour fou de Coumba qui l’a fait basculer entre deux mondes et lui a, dans le même temps, permis de faire ses adieux à l’homme dont elle a été brusquement séparée. L’amour maternel, celui de Coumba pour sa fille qui l’a aidée à ne pas perdre pied, et celui de Yaliam dont la présence constante a permis à Coumba de se reconstruire. C’est grâce à l’amour des personnes qu’elle aime et qui l’ont aimées que Coumba trouvera la force de prendre sa vie en main et de se relever.

Les Veilleurs de Sangomar se termine sur une note d’espoir, un message pour tous ceux qui souffrent et à qui l’auteure veut faire comprendre que peu importe l’intensité de l’orage, le beau temps finit toujours par revenir.

Cette histoire dépeint à merveille une réalité africaine à la fois triste, percutante, mais non moins porteuse d’espérance de la femme sous ses nombreuses casquettes.

10 citations tirées du livre Les Veilleurs de Sangomar

  1. « Barrer le calendrier revient à s’illusionner, puisque cela ne borne pas la durée des émotions qui se rattachent aux dates », page 41 ;
  2. « Les belles-mères savent-elles qu’en grande majorité les femmes, bien qu’elles ne l’avouent jamais, préfèrent épouser un orphelin ? », page
    91 ;
  3. « La bravoure n’a strictement rien à voir avec l’insensibilité », page 99 ;
  4. « C’est dans l’attente que le sentiment amoureux s’assumepleinement », page 103 ;
  5. « La patience a quelque chose à voir avec la longévité, parce qu’elle ôte sa propre durée aux moments pleinement vécue », page 142 ;
  6. « Dire les choses n’améliore pas forcément la vie des gens, mais les non-dits la pourrissent à coup sûr », page 149 ;
  7. « Ce qui menace l’Afrique, ce n’est pas la rencontre d’autres peuples, maisl’amnésie », page 234 ;
  8. « Pour fixer un cap, il faut bien situer son port de départ, sinon, on tourne en rond », page 234 ;
  9. « Sangomar donne la vue à travers la nuit, mais quand vous avez vu votre chemin, il vous laisse poursuivre librement votre route », page 251 ;
  10. « Il reste des secrets dans l’univers et le fait de les ignorer ne suffit pas pour nier leur existence », page 257.

 

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Leïla Tsatchou
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