XXVI – Sed non satiata, Charles Baudelaire, 1961, Les Fleurs du mal

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Sed non satiata de Charles Baudelaire : introduction

Sed non satiata fait partie du cycle de Jeanne Duval. Le thème de la belle noire reprend une tradition du poème baroque datant du XVIIème siècle. Baudelaire a voulu en faire un poème moderne.

Le titre « Sed non satiata » vient d’un poème satirique latin : « Juvénal ». Le contenu faisait allusion à la débauche d’une femme d’empereur, Messaline. Baudelaire lisait le latin couramment et c’était pour lui un moyen plus apte à décrire la passion. L’utilisation de la langue de la liturgie est provocatrice. Ce titre sert à masquer le côté scabreux et trivial d’un poème.

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Charles Baudelaire : biographie

Charles Pierre Baudelaire est né le 9 avril 1821 – 31 août 1867 à Paris et décédé le 31 août 1867 à Paris. Charles Baudelaire est reconnu depuis son vivant comme l’un des plus grands poètes français. Il était, également, essayiste, critique d’art et traducteur pionnier d’Edgar Allan Poe.

Son œuvre la plus célèbre reste le livre de poésie lyrique intitulé Les Fleurs du mal. Les Fleurs du mal exprime la nature changeante de la beauté dans le Paris en pleine période d’industrialisation (milieu du XIXe siècle). Le style très original de la poésie en prose de Baudelaire a influencé toute une génération de poètes, dont Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé, entre autres. Il est reconnu pour avoir inventé le terme de « modernité » pour désigner l’expérience éphémère de la vie dans une métropole urbaine, et la responsabilité de l’expression artistique pour capturer cette expérience.

Autres œuvres de Charles Baudelaire

• Du vin et du haschisch, 1851
• L’Art romantique, 1852
• Les Fleurs du mal, 1857
• Les Paradis artificiels, 1860
• Mon cœur mis à nu, 1864
• Petit poème en prose ou Le Spleen de Paris, 1869

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XXVI – Sed non satiata de Charles Baudelaire : le poème

Bizarre déité, brune comme les nuits,
Au parfum mélangé de musc et de havane,
Œuvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorcière au flanc d’ébène, enfant des noirs minuits,

Je préfère au constance, à l’opium, aux nuits,
L’élixir de ta bouche où l’amour se pavane ;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.

Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,
O démon sans pitié ! verse-moi moins de flamme ;
Je ne suis pas le Styx pour t’embrasser neuf fois,

Hélas ! et je ne puis, Mégère libertine,
Pour briser ton courage et te mettre aux abois,
Dans l’enfer de ton lit devenir Proserpine !

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Sed non satiata de Charles Baudelaire : Analyse

Ce poème rentre dans le cycle Jeanne Duval ; c’est-à-dire dans le cycle des poèmes rédigés par Baudelaire pour sa muse principale. Dans ce poème ; Baudelaire utilise la forme baroque, cette forme qui se prête à la satire et permet de dénoncer les vices du temps et qui donnera par la suite naissance à la poésie lyrique ; dans laquelle le lecteur laisse pleinement s’exprimer des sentiments personnels face à l’amour, la nature, la fuite du temps ou à la mort.

La poésie baroque dans bien des poèmes est empreint d’un sentiment religieux renforcé par la foi. On notera dans ce poème que Baudelaire prend à contre-courant ce procédé en essayant de rendre quasi divin des notions qui semblent à priori l’opposé du divin et du religieux, pour cela, il s’aide énormément de la mythologie grecque chez qui la notion de bien et de mal est absente de celle du divin ; ainsi Proserpine (citée en fin de poème) qui est la Reine des Enfers ; ne souffre d’aucune négativité ; puisqu’elle est aussi la déesse du printemps ; la saison des amours.

Le poème est un sonnet ; forme très courante durant le XIXe siècle. Le sonnet est un poème composé de deux quatrains (strophe de 4 vers) et de deux tercets (strophes de 3 vers). Sed non satiata est un sonnet dont les rimes suivent le schéma suivant : les quatrains sont en rimes embrassées (ABBA) et les tercets en rimes de type CCD EDE. Il s’agit donc d’un « sonnet français » ou sonnet de type Peletier (du nom de son auteur). C’est ainsi qu’il alterne rimes féminines et rimes masculines.

Le poème est composé d’Alexandrins, c’est-à-dire de vers de 12 syllabes avec césure. On note que les vers suivent une métrique quasi parfaite en tétramétrie (quatre fois trois syllabes le mètre dans chaque vers). Cette arrangement des vers donne au poème un rythme continue qui rappelle celle d’une berceuse ou d’une oraison funèbre. Le but étant pour Baudelaire d’introduire son lecteur dans un rythme qui rappelle la nuit.

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Sed non satiata de Charles Baudelaire : l’effet global

Dans ce poème Baudelaire cherche à exprimer à son lecteur un sentiment ambigu où le sombre est divinisé est érigé à la hauteur du mythe, du divin. Cette ambiguïté est d’emblée exprimée avec le terme : Bizarre par lequel commence le sonnet. D’emblée Baudelaire nous exprime un sentiment confus ; cette déesse est en effet inhabituelle ; c’est-à-dire qu’elle ne correspond pas à l’image habituelle qu’on se fait de la déesse. La suite du premier vers semble exprimer ce qui rend cette déesse « bizarre » ; elle est : « brune comme la nuit » ; comprenez de couleur brune ; c’est-à-dire presque noir. Au XIXe siècle, il est anormal d’associer la couleur brune à la déité. C’est ce qui rend cette image « bizarre » ; c’est presqu’un oxymore.

L’ensemble du poème va se construire sur ce contraste.

Baudelaire, accentue ce contraste en attribuant à sa déesse des caractéristiques à l’opposé de ce que l’on attend, généralement, d’une déesse ; à savoir : une couleur brune comme la nuit ; des odeurs de musc et de havane ; Faust de la savane ; sorcière au flanc d’ébène ; enfant des noirs minuits. Le travail proposé ici par Baudelaire est d’érigé le noir au niveau du divin et de lugubre au niveau du divin ; cette première strophe est un véritable paradoxe.

La seconde strophe est l’occasion pour le poète d’accentuer ce contraste car, la déité en question semble être le sacerdoce de ces interdits ; et faire passer ses addictions et ses angoisses pour des bagatelles :

Je préfère au constance, à l’opium, aux nuits,
L’élixir de ta bouche où l’amour se pavane ;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.

Elle est son interdit, mais un interdit qu’il préfère aux autres interdits ; ceux imposés par la loi et ainsi, elle le libérait presque de la tentation de l’interdit, justement. Plus encore, elle le libère de l’ennui ; ce monstre dont Baudelaire a dit tant de mal ; ce monstre qui pousse souvent à braver l’interdit pour justement le faire fuir. On comprend qu’elle est pour lui un véritable exutoire ; presqu’une forme d’exorcisme.

La fin du poème est l’occasion pour le poète d’exprimer la dégradation de la femme

Tous les termes qu’on avait au début prennent un autre sens avec des mots tels que le Styx, Proserpine dans les tercets.

Derrière les références, le poète fait allusion à son impuissance devant la femme : « verse-moi moins de flamme ». Les tournures négatives renforcent cette idée de faiblesse, d’infériorité. « Je ne puis », éloigné de son complément, est mis en valeur et appuie sur cette impuissance masculine.

La tendance homosexuelle de Jeanne Duval est suggérée lorsque le poète n’avoue ne pas être une femme : « Proserpine ». Le calembour du dernier mot amplifie sa provocation.

 

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Max Brun
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