Mémoires de porc-épic d’Alain Mabanckou : introduction

Découvrez la chronique rédigée par Aurélien Bedos sur le livre Mémoires de porc-épic d’Alain Mabanckou.

Alain Mabanckou : biographie

Alain Mabanckou est un écrivain franco-congolais né le 24 février 1966 à Pointe-Noire en République démocratique du Congo. Il choisit le nom de son oncle, René Mabanckou. Son père adoptif, réceptionniste de nuit dans un hôtel, lui ramène régulièrement des livres laissés là par les immigrés français. Alain s’initie ainsi à la lecture à travers San Antonio ou des romans de la collection SAS. Il passe ensuite un baccalauréat de lettres et philosophie. Et se lance dans des études de droit qui le mènent jusqu’en France, où il finira par travailler pendant dix ans pour le groupe Suez-Lyonnaise des Eaux.

En 1998 paraît son premier roman, Bleu-blanc-rouge qui lui vaut le Grand prix littéraire d’Afrique noire. Il obtient une reconnaissance publique et critique Avec Verre cassé et Mémoires de porc-épic – pour lequel il reçoit le prix Renaudot en 2006. Résidant actuellement à Santa-Monica en Californie, il mène à bien sa carrière de poète, romancier et essayiste, tout en assurant sa fonction de professeur de littérature francophone à l’Université de Californie. Il a obtenu de nombreux prix et distinctions. Son œuvre est actuellement traduite dans une vingtaine de langues.

Mémoires de porc-épic : présentation

Il s’agit de la confession d’un porc-épic qui, suite à la mort de son maître, se retrouve au pied d’un baobab et lui raconte son histoire.

Né au sein d’une communauté de ses semblables, il passe les premières années de sa vie dans le monde animal, sous la férule d’un patriarche colérique qui leur raconte des fables pour les tenir à distance des humains. Pourtant, très tôt, il se sent attiré par un jeune humain, Kibandi, adolescent initié par son père à un rituel magique qui consiste à absorber une potion, le mayamvumbi, lui permettant d’appeler à lui son double nuisible. Certains humains initiés possèdent en effet le pouvoir maléfique de s’adjoindre un double animal qualifié de nuisible. En effet, celui-ci, contrairement aux doubles pacifiques, doit accomplir tous les méfaits que son maître lui ordonne de mener à bien. Le porc-épic devient alors le serviteur dans le mal de Kibandi.

Nous sont ensuite narrées les différentes étapes de sa vie de soldat du crime à travers plusieurs évènements majeurs : la mort du père de Kibandi, être rongé par le mal ayant utilisé son double nuisible pour tuer une centaine de ses congénères, le déménagement de Kibandi avec sa mère dans un autre village, la mort de celle-ci et la lente descente aux enfers de son maître une fois laissé à lui-même. Rongé par la solitude, l’amertume, la jalousie et la haine, Kibandi devient de plus en plus avide de sang. Il envoie donc son porc-épic semer la mort chez un nombre grandissant de victimes, jusqu’à ce que le maître décide de s’attaquer à deux étranges jumeaux qui le mèneront à sa perte, laissant le porc-épic seul avec la culpabilité des actes terribles qu’il a accompli pour son maître.

Autres romans du même auteur :

  • Bleu, blanc, rouge (1998)
  • Et Dieu seul sait comment je dors (2001)
  • Les Petits-fils nègres de Vercingétorix (2002)
  • African Psycho (2003)
  • Verre cassé (2005)
  • Black Bazar (2009)
  • Demain j’aurai vingt ans (2010)
  • Tais-toi et meurs (2012)
  • Lumière de Pointe-Noire (2013)
  • Petit Piment (2015)
  • Les cigognes sont immortelles (2018)

Mémoires de porc-épic : avis

Mémoire d'un porc-épic de Alain Mabanckou

Mémoires de porc-épic de Alain Mabanckou

S’aventurant sur le terrain de la fable, Mabanckou dresse avec cruauté, tendresse et ironie le portrait d’une humanité soumise à des passions plus sauvages que les bêtes sauvages, et ce sont elles, les bêtes sauvages, qui nous le racontent. La bête sauvage plutôt que les bêtes sauvages, car c’est dans la peau d’un porc-épic que nous suivons cette aventure, expérience littéraire encore inédite à ce jour, et qui donne à ce récit une touche toute particulière, le porc-épic n’étant pas, dans l’imaginaire collectif, l’être violent et sanguinaire qu’on l’oblige ici à devenir. Le choix d’un tel animal, obligé d’utiliser ses piquants non plus pour se défendre mais pour assassiner, accentue l’horreur comique de la situation : soumis à une espèce dont les potentialités dans le mal sont plus développées que les siennes, il se fait meurtrier, par réfraction d’une volonté qui n’est pas la sienne, et avec le remord de celui qui n’est qu’exécutant.

Pourtant, il serait trop simple de réduire le livre à une opposition trop binaire entre l’homme et l’animal. En effet, l’animal, ici, a des pensées très humaines et l’homme n’est finalement pas autre chose qu’une bête parmi les bêtes, qui croit prétentieusement que l’intelligence ou le rire lui appartient là où les autres espèces avec qui il chemine n’en sont pas moins pourvues que lui. De même, ces autres espèces ont aussi en partage avec l’homme certains défauts :  il faut entendre, par exemple, le porc-épic nous expliquer la supériorité de son espèce sur les chiens, tortues, éléphants, cochons, chimpanzés ou écureuils, développant par rapport à d’autres animaux le même complexe de supériorité que l’homme avec ce qui l’entoure – à moins que ce porc-épic là n’ait développé ces pensées au contact des hommes…

Si la forme de la fable ouvre à autant d’interprétations possibles qu’il y a de lecteurs, on peut également souligner la dimension politique de ces choix de narration, qui font entrer en littérature des récits et modes de pensée encore peu représentés. Bien que la littérature européenne ne manque pas d’exemple d’animaux parlants, les cultures africaines reposent pour beaucoup sur des cosmologies dans lesquelles le
rapport entre l’humain et l’animal, ou encore l’humain et son environnement, n’est pas vécu sur le mode de la clôture et de la césure, contrairement à la culture occidentale qui s’est en grande partie construite sur le refoulement de l’animalité et la séparation d’avec la nature. Ainsi Mabanckou, en prenant en charge cette parole animale, qui elle-même s’adresse à la deuxième personne du singulier à un baobab (nous mettant, nous, lecteurs, dans la position d’être un arbre), opère une percée hors du logocentrisme et du refoulé occidentale en nous plongeant dans un univers animiste où chaque être est doué de volonté, d’intelligence, de sentiments, et le fait avec trop d’espièglerie pour qu’on ait envie de lui adresser le reproche d’anthropomorphisme. L’auteur s’amuse également à établir des ponts entre les cultures, parsemant son récit de références à Hemingway, Lafontaine, Edgar Allan Poe, William Faulkner, Horacio Quiroga. D’autre part, il mêle aussi les textes bibliques apportés par les blancs et les croyances animistes qui constituent cet univers, en faisant par exemple dire à son porc-épic à propos de Jésus  : « il n’était pas n’importe qui, ce fils de Dieu, il était initié comme mon maître, il devait être
cependant protégé par un double pacifique ».

Tout au long de cette longue phrase de plus de deux cents pages, découpée en paragraphes et ponctuée uniquement de virgules, dans une langue simple et inventive, Mabanckou écrit ainsi la comédie tragique de la cohabitation entre l’humain et l’animal, la quête de l’animal dans l’humain, de l’humain dans l’animal, les rapports de pouvoir qui se jouent entre les espèces et entre les peuples, les ténèbres de l’âme humaine et le silence contemplatif des baobabs autour desquels passent le temps et la mort sans que le soleil ne s’arrête de briller, la rivière de
couler et les histoires de se raconter.

Incipit de l’oeuvre : Mémoires de porc-épic 

« Donc je ne suis qu’un animal, un animal de rien du tout, les hommes diraient une bête sauvage comme si on ne comptait pas de plus bête et de plus sauvages que nous dans leur espèce »

10 citations tirées du livre : Mémoires de porc-épic

  • « la douceur du miel ne consolera jamais de la piqûre d’abeille » p. 13
  • « la parole c’est rien du tout, elle n’engage que ceux qui y croient » p. 25
  • « je ressentais en moi une vibration venant de je ne sais où et que ne perçoivent que les animaux prédisposés à fusionner avec un être humain » p. 58
  • « nous ne croyons le mal que quand il est venu » p. 66
  • « j’en étais arrivé à la conclusion que les hommes avaient pour une fois une longueur d’avance sur nous autres les animaux puisqu’ils pouvaient consigner leurs pensées, leur imagination sur du papier » p. 122
  • « les animaux aussi sont organisés, ils ont leur territoire, leur gouverneur, leurs rivières, leurs arbres, leurs sentes, il n’y a pas que les éléphants qui possèdent un cimetière, tous les animaux tiennent à leur univers, or chez les cousins germains du singe, c’est étrange, un vide, une ombre, une ambiguïté sur le passé engendre de la méfiance, voir le rejet » p. 127
  • « assied-toi près d’un baobab et, avec le temps, tu verras l’Univers défiler devant toi » p. 149
  • « j’ai appris des hommes le sens de la digression, ils ne vont jamais droit au but, ouvrent des parenthèses qu’ils oublient de refermer » p. 151
  • « les êtres humains s’ennuient tellement qu’il leur faut ces romans pour s’inventer d’autres vies » p. 155
  • « la fréquentation des hommes à créé en moi le sentiment de la nostalgie » p. 219

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Aurélien Bedos
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