Le cœur à rire et à pleurer, 1999, Robert Laffont

Maryse CONDE : Biographie

Née le 11 février 1937 dans une famille nombreuse dont elle est la benjamine, Maryse Liliane Appoline Boucolon est une journaliste, professeure de littérature et écrivaine.

Après des études en Guadeloupe, elle va en France où elle fonde le club Luis Carlos Prestes avec un étudiant en histoire. Bien qu’au cours de ces années elle publie ses premiers écrits notamment un conte, une nouvelle et un essai qui dénotent une première réflexion sur la « créolité, » elle n’envisageait pas encore une carrière d’écrivaine mais de journaliste.

En 1952, elle remporte le Prix de la nouvelle des étudiants Antillais et Guyanais de la revue Alizés avec son texte Le merveilleux Noël d’Arsène.
Auteure de renommée mondiale et très connue pour son livre Ségou, Maryse Condé se revendique « guadeloupéenne indépendantiste, » et est la fondatrice du Centre des études françaises et francophones au sein de l’université Columbia aux Etats-Unis.

Le cœur à rire et à pleurer : Présentation

Quelque part dans la Guadeloupe des années cinquante, une enfant non-désirée raconte son histoire. Benjamine d’une famille bourgeoise pour qui le rang a plus d’importance que les sentiments, elle apprend pas à pas à trouver son équilibre entre ce qui est attendu d’elle et ce qu’elle aimerait réellement.

Maryse grandit dans un milieu où parler Créole et s’associer à qui le parlait était synonyme de bassesse. On méprise ceux qui sont moins instruits que soi et parler parfaitement français dénote une supériorité en rang.
Avec des parents beaucoup trop attentionnés pour elle, une mère à l’indifférence légendaire envers le monde comme envers sa famille et un père timoré,

Maryse tout doucement, prend le chemin de la rébellion. Trop franche et très insoumise, c’est dans la création de nombreux mondes imaginaires qu’elle s’épanouit et trouve son bonheur.

Narré sous la forme de petits récits à chaque étape de sa vie, le cœur à rire et à pleurer n’est pas seulement l’histoire d’une benjamine bourgeoise qui essaie de se trouver au fil des années, mais aussi celle d’autres personnes qui essaient en vain d’être ce qu’ils ne pourront jamais être.

Autres œuvres de l’auteur :

  • En attendant le bonheur, Robert Laffont, 1976 ;
  • Hérémakhonon, Seghers, 1976 ;
  • Une saison à Rihata, Robert Laffont,1981 ;
  • Ségou 1. Les murailles de terre, Pocket,1984 ;
  • Ségou 2. La terre en miettes, Pocket, 1985 ;
  • Pays mêlé, Robert Laffont, 1985 ;
  • La vie scélérate, Seghers, 1987 ;
  • La colonie du nouveau monde, Robert Laffont, 1993 ;
  • La migration des cœurs, Robert Laffont, 1995 ;
  • Desirada, Robert Laffont, 1997.

Le cœur à rire et à pleurer : Résumé

Monsieur et Madame Boucoulon tous deux habitants de Pointe-à-Pitre se retrouvent surpris par l’approche d’une nouvelle grossesse. D’abord honteuse de sa grossesse au point de vouloir cacher son ventre devant elle, Madame Boucolon finit par graduellement l’apprécier. S’il est vrai que la nouvelle de la grossesse laissait Monsieur Boucolon indifférent, Madame elle, souhaitait avoir une fille. La famille comptait déjà quatre çons et une fille, la naissance d’une fille égaliserait les deux camps.

Vieux couple bourgeois qui se souciait beaucoup des apparences, ils éduquaient leurs enfants de manière stricte, refusant de leur donner la permission de jouer avec les autres de leur âge. Cette interdiction ne tenait que lorsqu’ils étaient en Guadeloupe. En France, où la famille passait ses vacances, les parents permettaient à ceux-ci de s’amuser avec les autres.

Bien après la honte puis l’appréciation de sa grossesse suivie par une phase difficile caractérisée par des vomissements, des crampes, des jambes enflées et d’envies changeantes à tout bout de champ, Madame Boucolon finit par donner naissance à une fille un après-midi de Mardi Gras. Une naissance « passée comme une lettre à la poste » (page). La fille est baptisée Maryse.

Comme tout enfant, vient le moment pour Maryse d’aller à l’école. S’il est vrai que sa mère ne voulait en aucun cas qu’on touche à son enfant, elle finit par accepter de la mettre dans l’école des sœurs Rama que celle-ci n’appréciait guère. Dans leur milieu, toutes les mères travaillaient et c’était pour elles, une grande fierté. Aussi, c’était sous la garde d’une bonne que les enfants d’un quartier se faisaient accompagnés à l’école. Celle des Boucolon fut choisie à l’unanimité pour remplir ce rôle. Elle se nommait Madonne.

Madonne était une femme cinquantenaire peu sévère et mère de six enfants. A cause de l’état de santé d’une de ses filles, elle a manqué le travail un matin et s’est faite renvoyée. Finalement, c’est la sœur aînée de Maryse, Thérèse qui est chargée de les accompagner et de les ramener de l’école matin et soir. Quelques jours après le renvoi de Madonne, Maryse est victime d’harcèlement de la part d’un garçon. Il l’attendait le soir après les cours lorsqu’elle se retrouvait seule et lui faisait peur. A mainte reprise, elle s’est plainte mais ni Thérèse ni les autres enfants du groupe n’ayant vu le garçon, personne ne l’a cru. Le harcèlement du garçon a continué longtemps avant de cesser définitivement lorsque son père commence à l’accompagner lui-même à l’école suite aux déclarations d’une des sœurs Rama, témoignant avoir vu un garçon trainer à la sortie des cours.

C’est au cours préparatoire que Maryse fait la rencontre de celle qui deviendra au fil du temps sa meilleure amie ; Yvelise. Aimante, douce et rieuse comme une libellule, Yvelise n’était pourtant pas très brillante à l’école. Elle ne lisait pas, elle ânonnait. Il n’y avait qu’en solfège et musique qu’elle réussissait. A cause de sa différence en caractère avec Yvelise, Mme Ernouville, l’une de leur enseignante au primaire, considérait Maryse comme une bête noire et une mauvaise fréquentation.

A la suite d’une rédaction sur le sujet : Décrivez votre meilleure amie, Mme Ernouville a réussi à temporairement briser les liens d’amitié non seulement entre les deux enfants mais aussi les deux familles. La boutade ne fut pas de longue durée, mais elle apporta une importante leçon à Maryse ; il ne faut jamais dire la vérité à ceux qu’on aime. Malheureusement, quelques années plus tard elle recommence. Au travers d’une déclamation poétique le jour de son anniversaire, Maryse commet l’erreur de dire ce qu’elle pense réellement de sa mère. Ce poème la choque au point où, Madame Boucolon, qui jamais n’avait versé une larme en public, éclata en sanglot.

Née dans une famille de fonctionnaires bénéficiant de certains « privilèges » comme des vacances à Paris et une situation financière assez stable, Maryse ne connaît rien de l’histoire de ses semblables. Elle ne comprend pas pourquoi ses parents sont si rattachés à une identité qui leur « est » et « «sera » toujours refusée malgré leur statut et leur argent. Elle ignore aussi le passé, ne comprenant pas la raison de la ségrégation actuelle. Toute petite, les questions se forment dans son esprit, des questions auxquelles sa mère refusera de répondre, des questions dont l’ébauche de réponse donnée par son père lui fera peur et refusera d’en savoir davantage.

La protagoniste a son premier contact avec la mort lorsque sa nourrice Mabo Julie perd la vie. Sa mère et son père tous deux étant enfants uniques, elle n’était pas confrontée à la grimace de la mort que ceux qui ayant grandi au sein de vastes tribus connaissait. Elle avait pour Mabo Julie une grande affection. Elle était pour Maryse, celle qui l’avait charroyée dans ses bras et promenée sur la place publique. Mabo Julie l’avait aidée à marcher et la consolait lorsqu’elle tombait. Maryse éprouvait pour cette nourrice, une affection égale à celle qu’elle avait pour sa mère. A l’annonce de sa mort, au contact de son corps froid, à la prise de conscience que celle-ci ne se relèverait plus jamais, Maryse fondit en larme. Chose qui irrita sa mère. Période très difficile, elle fit des cauchemars pendant des jours jusqu’à ce qu’un soir, sa mère la console.

Devenue grande, Maryse s’en va continuer ses études en hypokhâgne hors de la Guadeloupe. Dans ce nouveau pays, elle fait face au racisme, un racisme qu’elle ne comprend pas. C’est ici qu’elle se rend compte qu’elle ne connaît pas « ses origines », qu’elle ne sait rien de l’esclavage et du racisme. Lentement, à travers les lectures des livres de Sandrino pour pouvoir faire ses exposés, elle saisit peu à peu la différence entre l’éducation offerte par ses parents et celle dont nombreux autres enfants noirs recevaient. Elle avait grandi comme une française, ne sachant ni parler Créole ni consciente de sa culture.

L’arrivée de Marguerite Diop changea quelque peu son quotidien. Son professeur de français qui ne supportait pas son indifférence face aux remarques raciste, trouva un nouveau moyen d’essayer de la torturer. A les interroger, les assigner les mêmes exposés et à prendre la classe à témoin pour leurs différences, elle tentait de les ridiculiser, de montrer qu’elles n’avaient pas leurs places en ces lieux. Marguerite finit par disparaître et le contact noué entre les deux filles se perd.

Dans cette vie qui parait parfaite, douce et apparemment pavée uniquement de bonheur du point de vue externe, Maryse souffre. Sa mère attend trop d’elle, on la croit trop intelligente pour avoir un comportement digne d’une fille de son âge et surtout, elle ne reçoit pas cet amour joyeux qu’elle espère de la part de ses parents.

Plongez au cœur du passé dans une Guadeloupe différente de celle que vous connaissez actuellement et dévorez-en seulement quelques pages les contes d’une femme ayant vécu la ségrégation différemment.

Le cœur à rire et à pleurer : Avis

Livre qui raconte quelques bribes de la vie de l’auteure sous forme de petits contes, Le cœur à rire et à pleurer expose le vécu d’une benjamine au sein d’une famille de huit enfants. Petite dernière au caractère quelque peu différent du reste de la famille, Maryse Condé, à travers ses souvenirs, relate son enfance et son adolescence.

Enfant inattendue et bien que choyée, elle ne peut s’empêcher de rattacher à sa naissance ce sentiment « d’enfant non désirée, » lorsque sa mère lui révèle que sa grossesse lui faisait honte et son père lui, restait indifférent.

L’œuvre montre une petite fille assez seule qui n’arrive pas à trouver sa place, ni avec ses frères ni avec ses parents. Entre un père vaniteux dont l’affection manque et une mère dure et beaucoup trop exigeante, elle se retrouve à s’inventer des histoires imaginaires. A créer des personnages fictifs et des histoires qu’elle racontait à qui voulait l’entendre, personne ne la croit lorsqu’elle se fait harceler par un gamin qui l’attendait sur le chemin des classes. Après tout, tout le monde la savait mythomane.

A travers de nombreux exemples, le récit nous montre que nous avons à faire à une famille qui tient plus à son rang social qu’au bonheur véritable de l’individu. Par exemple, à l’annonce du divorce d’Emilia, aucun des deux parents ne s’est soucié de ce que ressentait leur enfant, ils se préoccupaient surtout de ce que diront les gens, de l’alliance avec une famille puissante brisée, des privilèges perdus, mais aucune compassion pour elle.

On voit aussi, à leur relation avec Thérèse que son bonheur ne les intéresse pas. Bien qu’ayant trouvé le bonheur avec un homme aisé lui aussi constituant une excellente alliance, les parents Boucolon n’approuvent pas, estimant que l’Afrique est trop loin, que Thérèse ne fait jamais rien de bon de sa vie. Ils la dénigrent totalement au point de refuser de mettre la photo de leur première petite fille parmi les photos de famille.

A l’exception de son frère Sandrino avec qui elle s’entend à merveille, la relation avec le reste de ses frères n’est pas très bonne. On voit par exemple, qu’une fois grande, lorsque Thérèse s’est mariée et que tous deux vivent désormais dans la même ville, elles n’arrivent pas à entretenir une conversation. Sa sœur finit par lui donner de l’argent de poche en guise d’excuse pour cette distance entre elles.

L’histoire est poignante et triste, celle d’une petite fille qui se sent non désirée, incapable de se sentir épanouie avec certains de ses aînés car ceux-ci la considèrent trop choyée par leurs parents. Une fille incapable de se montrer vulnérable au risque de décevoir sa mère, incapable de se rapprocher de son père car celui-ci ne lui témoigne aucune affection particulière. Bien qu’intelligente et réfléchie, elle éprouve des difficultés à s’insérer en milieu scolaire car trop rebelle et catégorisée comme mauvaise influence. Très tôt donc, elle se met à imaginer des personnages et des histoires qu’elle se raconte pour passer le temps.

Son entourage a tendance à oublier qu’elle n’est qu’une enfant. A l’enterrement de Mabo Julie (sa nourrice), sa mère n’a pas apprécié qu’elle pleure. Elle aurait voulu qu’elle se comporte comme un membre de la famille royale et cache ses sentiments en public. Ses parents mettent la barre trop haute pour elle et cela l’étouffe. Elle fait face à trop d’attentes pour son jeune âge ainsi qu’au refus de faire ce qui lui plaît réellement. A un moment, elle pense que sa mère souffre d’indifférence pathologique car malgré la distance qui les sépare et toute l’affection transmise dans ses lettres, les réponses de sa génitrice restaientsèches.

On montre ainsi un couple qui n’a d’yeux que pour le standing social, à se demander qui ils étaient au fond d’eux. Aussi, sa relation avec Yvelise démontre une belle amitié malgré les caractères opposés.

A deux reprises, Maryse Condé nous fait voir à quel point il est important de réfléchir avant de s’adresser à autrui. Sa franchise brutale et irréfléchie envers Yvelise lors d’un devoir a failli lui couté leur amitié. Et, bien que partie sur une bonne intention, sa franchise à l’anniversaire de sa mère dans ce poème était une grosse erreur. La franchise n’est pas toujours nécessaire.

Finalement, elle montre combien son enfance bridée ne lui a pas permis de prendre connaissance de l’histoire de ses semblables. Victime bien souvent de racisme une fois au lycée, ce n’est qu’à ce moment, plus de quinze ans après sa naissance qu’elle comprend le sens de certains mots relatifs à l’esclavage et au racisme.

Le cœur à rire et à pleure est une histoire pleine de leçon où se mêlent la joie et la tristesse, les coups durs et les moments de bonheur d’une benjamine qui cherche à trouver son équilibre.

Le coeur à rire ou à pleurer : Incipit

« Si quelqu’un avait demandé à mes parents leur opinion sur la Deuxième Guerre mondiale, ils auraient répondu sans hésiter que c’était la période la plus sombre qu’ils aient jamais connue. »

10 Citations tirées de l’œuvre : Le cœur à rire et à pleurer

« Une personne aliénée est une personne qui cherche à être ce qu’elle ne peut pas être parce qu’elle n’aime pas être ce qu’elle est. » Page 10
« Chez l’enfant, l’amitié a la violence de l’amour. Privée d’Yvelise, je ressentis une douleur constante, pénétrante comme un mal aux dents. » Page 24
« Je devinais qu’un secret était caché au fond de mon passé, secret douloureux, secret honteux dont il aurait été inconvenant et peut-être dangereux de forcer la connaissance. » Page 28
« Je n’aimais que les enterrements qui étalent l’opulence de ceux qui désormais ne possèdent plus rien. » Page 29
« Je n’étais bien que lorsque j’inventais des univers à ma fantaisie. » Page 38
« Ce calme donnait la mesure de sa blessure. » Page 47
« Je commençai par me révolter en pensant que l’identité est comme un vêtement qu’il faut enfiler bon gré, mal gré, qu’il vous siée ou non. » Page 67
« Mon adolescence avait la couleur d’une fin de vie. Je me retrouvais face à deux vieux corps dont je ne comprenais pas les humeurs. » Page 74
« Je me passionnais aussi pour leurs cruelles histoires de vie, comprenant que seule la souffrance donne son véritable prix à la créativité. » Page 83
« D’une certaine manière, bien que dorée, mon existence n’était pas gaie. Loin de là. Je vivais dans un désert affectif. » Page 84

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Djuikam Eunice