Une saison en enfer, 1873, l’Alliance typographique (M.-J. Poot et compagnie), imprimeur-éditeur à Bruxelles.

Arthur Rimbaud : biographie

Jean Nicolas Arthur Rimbaud est un poète français né le 20 octobre 1854 à Charleville-Mézières et mort le 10 novembre 1891 à Marseille. Il est connu pour son influence sur la littérature et les arts modernes, qui préfiguraient le surréalisme. Né à Charleville, il a commencé à écrire très jeune et a excellé en tant qu’étudiant, mais a abandonné son éducation formelle à l’adolescence pour s’enfuir de chez lui à Paris au milieu de la guerre franco-prussienne. Il a rédigé l’ensemble de ses écrits avant l’âge de 21 ans, âge à laquelle il a arrêté d’écrire. Il a vécu une grande partie de sa vie en Éthiopie et au Yémen (alors Abyssinie) où il s’est consacré au voyage, à l’exploration et au commerce.

Une saison en enfer : présentation

Une saison en enfer est un recueil de poème en prose écrit par Arthur Rimbaud au courant de l’année 1873. Il s’agit d’une prodigieuse autobiographie psychologique. Rimbaud donne aux lecteurs à partager ses craintes, ses désirs, ses déceptions, ses combats intérieurs, mais aussi son histoire personnelle et celle de son peuple dont il est une conclusion. Dans ce poème, c’est comme-ci Rimbaud avait, en permanence, pointé sur lui (sur son âme) une caméra. Il se met à nu.

Le poème Adieu (Une saison en enfer) : présentation

Adieu est le dernier poème de la Saison en enfer, rédigé durant l’automne 1873, il semble mettre un point final à la poésie rimbaldienne. Bien sûr, Rimbaud a écrit après la Saison en enfer ; une partie des illuminations a, en effet, été rédigé après la saison. Mais, il est fort à penser qu’en rédigeant ce texte Rimbaud savait son aventure poétique sur le point de se terminer, ou du moins il se sentait le désir de l’achever. Adieu porte donc bien son nom et annonce l’adieu de Rimbaud à la poésie. Adieu qui aura lieu environ 2 ans plus tard.

Autres œuvres d’Arthur Rimbaud :

• Le Bateau ivre (septembre, 1871) ;
• Le Dormeur du val (octobre, 1870) ;
• Voyelle (1871) ;
• Les illuminations (1875) ;
• Poésies complètes.

Adieu : le poème

L’automne, déjà ! – Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, – loin des gens qui meurent sur les saisons.

L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l’ivresse, les mille amours qui m’ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment… J’aurais pu y mourir… L’affreuse évocation ! J’exècre la misère.

Et je redoute l’hiver parce que c’est la saison du comfort !

– Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée !

Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !

Suis-je trompé ? la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ?

Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons.

Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?

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Oui l’heure nouvelle est au moins très-sévère.

Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent, – des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. – Damnés, si je me vengeais !

Il faut être absolument moderne.

Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.

Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.

Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, – j’ai vu l’enfer des femmes là-bas ; – et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.

avril-août, 1873.

Adieu (Une saison en enfer) : Avis

Le poème commence sur un constat, l’automne est déjà là. C’est l’automne, la dernière saison de l’année ; la saison durant laquelle, les jours se font plus cours, les feuilles des arbres tombent, la saison de la pluie également… La saison associée au deuil.

À mon avis, en ouvrant ainsi ce dernier poème, Rimbaud invite le lecteur à faire le parallèle avec sa Saison en enfer  à lui – qui s’y on se réfère à la date notée en bas du texte (avril-août 1873) n’est pas strictement parler « une saison » mais bien à cheval sur deux saisons : le printemps et l’été. D’ailleurs, Rimbaud est en avance sur les dates, puisqu’il annonce que l’automne est « déjà » là alors même que ce n’est pas le cas. L’automne commençant fin septembre et au moment au Rimbaud écrit ce texte, il est, sans doute, en août.

En fait, La Saison en enfer pourrait tout simplement être ce moment de la vie de l’auteur où il vit pour la poésie. Du moment où il s’est reconnu voyant dans les lettres à Paul Demeny datées du 15 mai 1871 (les fameuses Lettres du voyant) au point final de la Saison, c’est-à-dire en août 1873. C’est-à-dire juste avant cet automne qui fait si peur au poète et qu’il appréhende. L’automne si l’on accepte cette analyse, ne serait ni plus ni moins que l’automne de la vie de poète de Rimbaud, c’est-à-dire ses derniers instants dans la poésie.

Mais, Rimbaud se refuse aussitôt à la nostalgie. Il ne regrettera pas cet été, cet « éternel soleil » ; ce moment où la poésie semblait capable de faire de lui l’égal des plus grands rois, voire un demi-dieu ; un mage ou un ange, car lui est à la recherche de quelque chose de plus élevé qu’un simple bonheur terrestre dont l’été semble être le parfait symbole : il est à la recherche de la clarté divine ; de l’éternité.

Mais, c’est tout de même l’automne et cette saison à un effet néfaste sur le poète. La saison où la pauvreté dans la ville est encore plus visible, car la température baisse, les nuits sont plus longues et chacun recherche le confort ; ce qui rend ceux qui ne peuvent l’avoir encore plus misérables.

Mais, pourtant il existe chez Rimbaud, qui est encore poète, de l’espoir, oui quelquefois, il « voit au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie… ». Mais, ce ne sont que des mirages puisque la pauvreté est encore bel et bien présente et qu’il ne peut faire autrement que de la voir dans ces villes (Paris, Londres, Bruxelles.) où elle regorge.

Et puis, il n’est pas mieux placé que ces pauvres gens, lui qui « s’est dit mage ou ange… ». Car, au fond, il n’est qu’un paysan, un simple paysan qui doit retourner au travail rugueux de la campagne. Oui dans la poésie, il peut se targuer d’être un ange, un mage, dispensé de toute morale, mais la réalité, ce n’est pas du tout le cas. Dans la réalité, il n’est qu’un simple paysan.

Et se voiler la face avec la plus belle des poésies n’y changera rien. Bien au contraire, cette charité pourrait lui coûter sa vie, s’il en venait à oublier de la gagner, sa vie. C’est-à-dire de gagner de l’argent. Et puis, il n’a plus Verlaine pour l’entretenir, cette si chère (ou cher) main amie.

L’Adieu est coupé en deux parties, alors que la première partie était un constat amer de la vie qu’a menée le poète durant ces quatre années où il s’est donné corps et âme à la poésie et à Verlaine. Cette seconde partie est l’occasion pour le poète de regarder vers l’avant. Car, la victoire lui est acquise. Il faut comprendre par là qu’il sait maintenant la vérité. Il faut gagner sa vie. C’est-à-dire s’enrichir pour un jour pouvoir réellement vivre et pas survivre. Il a, tout de même, « des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort » ; de ceux qui ne pensent pas à gagner leur vie, à s’enrichir pour en avoir une de vie, mais qui au contraire se ruent vers la mort ; la pauvreté. Il les jalouse car eux ne sont pas tourmentés par toutes ces questions, car ils ont choisi la mort.

Mais, le temps n’est plus à la réflexion, « il faut tenir le pas gagné » celui de l’enrichissement. Faire de l’argent et gagner sa vie. Il n’a pas le temps pour les cantiques ; l’arbre du bien et du mal lui importe peu ; sans doute faut-il comprendre par là qu’il est prêt à tout pour faire de l’argent, même au mal ? Il semble se décharger de cette contrainte morale, puisque la spiritualité, elle-même est un combat et un combat aussi brutal que le physique. D’ailleurs « la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul. ». Donc, personne, du moins aucun être humain n’est capable de dire ce qui est bien ou mal.

Voilà, il est enfin prêt. Prêt à y aller, à faire du coude pour gagner sa vie. Il veut s’enrichir par tous les moyens ; il se permet un dernier repos de façon à recevoir « les influx de vigueur et de tendresse réelle » pour mieux aller au combat.

Mais, cette fois, il y ira seul. Pas besoin d’être entretenu. Il a vécu cet enfer que vivent les femmes d’alors et ne veut plus jamais le revivre. S’il doit faire de l’argent s’est par ses propres moyens sans vendre son âme et son corps pour cela : il possédera, ainsi, la vérité dans un corps et une âme.

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Max Brun
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