Sale gosse, 2019, L’Iconoclaste

Sale gosse de Mathieu Palain : introduction

Découvrez la chronique rédigée par Aurélien Bedos sur le livre de Sale gosse de Mathieu Palain.

Mathieu Palain : biographie

Mathieu Palain est un journaliste et romancier français né en 1988 à Ris-Orangis. Il a réalisé des reportages pour les revues XXI et 6 mois et collabore à l’émission Les Pieds Sur terre de Sonia Kronlud sur France Inter. Son père était éducateur à la PJJ et n’est sans doute pas pour rien dans le choix du thème de son premier roman, Sale Gosse, bien qu’il ne lui ait jamais parlé de son travail.

Sale Gosse : présentation

Il s’agit de l’histoire de Wilfried, adolescent de 15 ans abandonné par sa mère et placé en famille d’accueil lorsqu’il n’était qu’un enfant. Wilfried grandit dans un environnement aimant mais l’instabilité de sa situation et le vide qui entoure ses origines font monter en lui une colère sourde. Alors qu’il est en bonne voie pour passer professionnel dans un club de foot, il tabasse un joueur de l’équipe adverse lors d’un match et est viré du club. Il retourne dans sa famille d’accueil, reprend les cours et décroche peu à peu pour sombrer dans la délinquance. Quand sa véritable mère refait surface et gagne sa garde lors d’un procès avec la famille d’accueil qui voulait l’adopter, Wilfried devient fou de rage et décide de fuguer. S’en suit une agression qui le mènera dans un foyer de la Protection judiciaire de la jeunesse, où il sera pris en charge par Nina, une éducatrice qui va tout faire pour le faire dévier de la trajectoire qu’il est en train de prendre. Nous suivons ainsi le destin de Wilfried sur plusieurs années, de ses 15 à ses 18 ans. Au fur et à mesure que se tisse son histoire, de nombreux micro-récits viennent s’agréger à la trame principale et nous racontent les fragments de vie d’autres jeunes en perte de contrôle et des héros discrets qui usent leurs existences à essayer de les aider.

Sale Gosse : avis

Comme il l’explique à la fin du livre, Mathieu Palain a un jour parlé du film Polisse avec un ami de son père, directeur de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse) du département dans lequel il vivait, lequel lui a répondu « J’ai beaucoup aimé. C’est très en deçà de la réalité, mais j’ai beaucoup aimé. » Le livre est donc né d’une volonté de « voir à quoi elle ressemble, du coup, cette réalité. » Il s’est d’abord intéressé au sujet en tant que journaliste, a intégré une équipe de la PJJ d’Auxerre en vue de mener une enquête. Mais d’un projet d’article journalistique il est vite passé à la conception d’un roman. C’est sans doute à la fois ce qui fait la qualité et l’écueil du livre.

Qualité, car toutes les histoires qui sont racontées respirent le vécu. Ni misérabilisme, ni emphase, ni lyrisme mal venu, chaque détail, chaque personnage, chaque réaction, situation, comportement sonne juste. La réalité quotidienne vécu tant par les jeunes pris en charge que par les éducateurs et éducatrices est retranscrite de manière minimaliste et précise. Du terrain de foot à l’errance sur les trottoirs de la cité, de la salle de classe à la salle d’audience du tribunal, du foyer d’accueil au foyer de la protection judiciaire, il s’agit pour Palain de décrire les étapes d’un processus dans lequel un individu déraciné en vient à se retrouver sur le banc de touche d’une société incapable de répondre à son malaise. L’une des grandes réussites de l’ouvrage réside alors dans la manière dont il fait sentir dans les dialogues, dans la langue même de ses personnages, le décalage qu’il peut y avoir entre sa prise en charge par l’appareil d’Etat et la teneur de sa vie intime, à l’image de ces scènes de tribunaux où la rhétorique des magistrats se heurte au parlé argotique de ceux dont elle décidera du sort. Les éducateurs et éducatrices apparaissent comme les rouages qui empêchent la machine de dérailler. Ils font office d’intermédiaire, parlent à la fois la langue des magistrats et celle des jeunes dont ils s’occupent, s’investissent au niveau intime tout en œuvrant dans un cadre institutionnel avec lequel ils doivent faire des compromis. Néanmoins, c’est assurément la partie humaine qui intéresse le plus Mathieu Palain. Il tâchera de développer, ne serait-ce que sur quelques paragraphes, le parcours individuel de quasiment chaque personnage croisé au fil des pages, qu’il s’agisse d’une simple apparition fugace ou d’un élément moteur de l’intrigue. L’auteur contribue ainsi à enrichir son univers d’une multitude de micro-récit le rendant d’autant plus crédible. Il s’agit ici de donner à sentir, au-delà de l’histoire de Wilfried et Nina, un milieu et la multitude qui le constitue, la manière dont chacune de ces trajectoires se constitue en écho avec les autres.

L’écueil, cependant, réside sans doute justement dans l’écriture trop journalistique de Palain. L’épure et le minimalisme sont un parti pris tout à fait justifié pour un tel sujet et une telle démarche, mais la sécheresse de l’écriture, le manque de description sensitive (il y en a, mais trop peu), le peu d’accès à l’intériorité des personnages (non pas absente, mais pas assez présente), le peu d’attention accordé aux choses, aux êtres, aux lumières, aux odeurs, nous font manquer de ce qui, sans doute, constitue l’essentiel d’une réussite romanesque : une atmosphère. Non pas que le livre soit dénué d’atmosphère, il est parsemé, par petites touches, de ce qu’il faut de descriptions pour nous poser un décor (l’odeur du riz dans la cage d’escalier, le sol d’un PMU recouvert de ticket de jeux et de mégots, les paysages qui défilent par la vitre) mais ces quelques détails trop rares, la manière dont ils sont agencés, ne suffisent pas à générer de véritables images et paysages mentales, si bien que le réalisme pêche parfois par manque de viscéralité.

Il n’en reste pas moins que c’est une œuvre appréciable qui décrit, sans concession et avec une grande tendresse, ces vies cachées et belles qui se tiennent en équilibre, ces marges que la littérature peut et doit tenter de faire entrer par effraction dans le champ de la représentation.

Incipit de l’oeuvre Sale gosse

« Mars 2001, dans l’Essonne.
Marc Winzembourg n’était pas ce qu’on appelle un type inquiet. »

10 citations tirées du livre Sale gosse

  • « Leur faire entendre qu’en rentrant dans le rang ils éviteraient la taule ou le cimetière, c’était comme crier dans le désert. » p. 17
  • « Le foyer, c’est le cinéma, et le milieu ouvert, la photographie. Un film, tu le vis à je ne sais combien d’images par seconde, et l’histoire t’embarque. La photo, elle reste figée, mais à force de la regarder tu perçois les détails, le second – plan. Le milieu ouvert c’est ça : tu as l’impression d’avoir perdu le contact, alors qu’en fait tu as pris du recul pour comprendre ce que tu regardes. » p. 22
  • « – Donc vous préférez aller mal ?
    – Des fois, c’est mieux que d’être jugée. » p. 40
  • « Il est inutile d’expliquer la subtilité du football à ceux qui n’ont jamais aventuré leurs pieds au fond d’une paire de crampons, mais le talent tient là, dans cette capacité à visualiser la passe une demi-seconde avant de l’offrir. » p. 64
  • « Quand je suis arrivé à la PJJ, je voulais changer le monde. Aujourd’hui, j’essaye de ne pas l’abîmer. » p. 77
  • « C’est comme si je voulais qu’on m’embrouille pour avoir une bonne raison de désosser quelqu’un. » p. 130
  • « – Tu crois vraiment qu’elle étendra un matelas dans la chambre de ses gosses quand tu seras en chien pour dormir.
    – Nan. Elle le fera pas. Mais je la kiffe parce qu’elle ne m’a jamais promis ça. » p. 245
  • « Mais tu peux pas demander aux enfants de te respecter si t’as rien fait pour. C’est plus le Moyen Âge. Ces gosses, ils s’inclinent pas devant les anciens. » p. 285
  • « J’ai vu onze mecs jouer pour que la défaite ne soit pas de leur faute. Sachez qu’on ne s’en sort jamais seul. Ceux qui se vantent du contraire sont des menteurs. » p. 330
  • « Wilfried resta un moment devant la porte, assailli par ses pensées. Frapper en premier. Viser de bas en haut pour briser l’arrête du nez. Il les regardait défiler, mais différemment cette fois, comme on le fait au passage d’un train : l’espace de trente secondes, le vacarme s’impose, puis la vie reprend. » p. 346

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Aurélien Bedos
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