Marie Inaya Munza

Interview de Marie-Inaya Munza (MOTEMA)

par Marion Robinel

Marie Inaya Munza

Selon vous, y a-t-il de la poésie dans la vie de tous les jours ?

Absolument. Tous les moments que nous passons dans une journée peuvent être en rapport avec la poésie. La poésie, c’est dès lors qu’on a une émotion. Un beau paysage, le soleil du matin, un regard de son compagnon sont des instants de poésie. C’est généralement de là que viennent nos inspirations.

Marie Inaya Munza

Quel est votre rapport à l’écriture ? Pourquoi écrivez-vous ?

Mon rapport à l’écriture est venu tôt, depuis l’âge de douze ans. J’ai toujours aimé la poésie, je trouvais ça beau en termes de rimes et de rythme; il y a une musicalité dans la poésie. J’ai toujours aimé le rapport aux mots, ma professeure de français m’y a initiée. Mon rapport à l’écriture s’est donc révélé vers cet âge-là, car au-delà de la lecture, j’ai écrit des poèmes. En effet j’avais un journal, Maux à mot. J’y écrivais mes peines de coeur, mes sentiments par rapport à la vie, au quotidien. Je ne savais pas, à cet âge-là, que ça allait devenir une vocation, quelque chose de vital. C’était une passion.

L’écriture est devenue par la suite quelque chose de très important dans ma vie et je nepeux plus m’en passer. Aujourd’hui, écrire est un besoin viscéral. C’est aussi une manière d’extérioriser mes frustrations quant aux injustices que j’ai besoin de défendre, ou pour mettre en lumière les émotions et la beauté du monde. L’écriture est un exutoire.

Marie Inaya Munza

Pourquoi la poésie et pas un autre style d’écriture ?

Pour moi, la poésie est l’élite de l’écriture car il y a une exigence, c’est plus difficile. Il faut respecter les rimes, le rythme, la musicalité. Ce n’est pas à la portée de tous; il faut être flexible, imaginaire. Je trouve que la poésie est beaucoup plus forte en terme d’émotions. Par exemple, la poésie peut apporter de la beauté à une situation tragique. Les choses difficiles et douloureuses peuvent ainsi devenir belles à lire grâce à la poésie, et c’est ce que je trouve magnifique : c’est quelque chose qui nous enrobe avec délicatesse. On est
comme portés par quelque chose qui nous rend meilleur et qui, tout de suite, va chercher l’émotion.

Marie Inaya Munza

Que signifie “Motema” ? Pourquoi avoir choisi ce titre pour votre recueil de poèmes ?

“Motema” signifie “le cœur” en lingala, la langue la plus parlée aux deux Congo (RDC et Brazzaville). On retrouve ce mot dans tous les chants de rumba congolaise. Ce mot est, pour moi, une évidence, car tous les sujets traités dans mon recueil, aussi éclectiques, soient ils, viennent du cœur. Je me suis livrée dans ce recueil, et ce mot, “motema”, est le plus juste en terme de traduction, car tout ce que j’ai écrit vient du plus profond de mon cœur.

Plusieurs thèmes sont abordés : l’amour, le bonheur, les souffrances qui l’accompagnent, le combat des hommes pour leur liberté, le combat des migrants qui affrontent une multitude de dangers pour espérer une vie meilleure. Tous ces thèmes sont différents et abordés avec beaucoup d’émotions.

Marie Inaya Munza

Pouvez-vous nous en dire plus sur le choix de ces thèmes et leur importance à vos yeux ?

Les thèmes ne sont pas forcément en rapport avec mon vécu. Ils sont importants car ils m’ont bouleversée, au cours d’une rencontre, d’un reportage, d’un sujet d’actualité. Ce sont mes thèmes de prédilection. Il y a beaucoup d’amour dans mon recueil, c’est pour moi l’essence de la poésie. Cependant, j’avais aussi à coeur de m’engager.

Des personnes vont écrire une chanson, créer une association. Moi, j’écris : pour rendre hommage, pour donner la voix aux sans voix, finalement. Ces sujets sont importants à mes yeux, non parce que je les ai vécus, mais parce que je considère qu’en tant qu’être humain, on ne peut pas être insensible à ces causes. Dès lors qu’on voit une personne, peu importe la couleur de peau ou la culture, on doit se sentir concerné par ses souffrances et ses difficultés. Je parle des amérindiens, qui n’ont ni mon histoire, ni ma culture; je suis franco-congolaise, je suis née au Congo, j’ai grandi en France, je n’ai pas de rapport avec eux, mis à part le rapport à l’humanité.

Dès lors qu’un sujet est universel, tout le monde peut se l’approprier et tout le monde peut le défendre. En tant que citoyenne et être humaine, mettre l’accent sur ces problématiques relève du bon sens. Ces sujets m’ont littéralement bouleversée, et ma compassion court sur les lignes de mes poèmes.

Marie Inaya Munza

Dans vos poèmes, vous parlez de Négritude, du combat des hommes noirs pour leur liberté et pour vivre en paix. Vous parlez des crimes commis lors des colonisations, comme l’esclavage, le massacre de communautés entières.

Dans le poème Mokonzi (roi en lingala), vous écrivez : “Je viens d’un pays où les hommes n’ont cessé de lutter pour leur liberté.” Comment la Négritude est reçue au Congo ? Ce poème permet-il de faire passer un message ?

C’est une question intéressante. Malheureusement, j’ai vécu trop peu de temps au Congo (c’était durant ma jeunesse, je suis arrivée en France à l’âge de huit ans). Ce serait difficile pour moi de traduire comment les choses sont exprimées à ce jour sur cette notion de Négritude.

En revanche, concernant ma propre inspiration et les artiste de ma génération, grâce à Aimé Césaire, Senghor et d’autres personnalités on s’approprie cette part de Négritude. La Négritude, c’est prendre conscience qu’on est noir et le revendiquer. Ne pas se considérer comme une victime, être fier de sa culture et vouloir la partager aux autres. C’est une question qui n’est pas uniquement liée à l’époque d’Aimé Césaire : on s’approprie cettebNégritude d’une génération à l’autre.

Frantz Fanon a écrit : “Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir.” Ainsi le flambeau, d’une génération à l’autre, doit continuer à briller.

Au Congo, il y a une vraie prise de conscience : c’est à nous de prendre notre part de responsabilité. Il en va de soit au niveau de la culture. On prend conscience que notre condition d’homme ou de femme noire ne doit pas être passive. Nous ne devons pas attendre qu’on agisse pour nous et nous devons prendre les rênes pour être maîtres de notre destin. Il nous faut alors être conscients des atouts que nous pouvons avoir et avancer, faire en sorte de se faire entendre.

Marie Inaya Munza

Certains poèmes ont particulièrement retenu notre attention, comme le poème Je marche seul dans le silence de la nuit. Vous racontez la vie d’un sans abri. Ce poème est très poignant. Il montre comment la vie peut être difficile.

Qu’est-ce qui a suscité l’envie d’écrire sur ce thème ?

Je n’ai pas connu dans mon environnement proche des personnes dans cette situation. Pour autant, nous sommes confrontés au quotidien aux rencontres avec les sans-abri. Ma sensibilité s’exprime à travers ce poème. Je veux montrer combien il est difficile d’aider les sans-abri et que tout le monde peut se retrouver dans cette situation.

Tendre la main, ce n’est pas uniquement donner de l’argent, c’est aussi échanger avec la personne. C’est injuste, se retrouver dans un pays comme la France sans domicile fixe. J’ai souvent la gorge nouée quand je me retrouve face à une personne dans cette situation. Alors je me suis mise dans leur peau et me suis demandée ce qu’ils peuvent ressentir quand ils se retrouvent seuls au milieu de la nuit. La journée, il y a du passage, mais il se trouve un moment où le silence se tue dans les rues. Ils se retrouvent alors seuls avec leurs pensées, et c’est la chose la plus difficile pour un être humain : se sentir seul, dans un silence absolu.

Je voulais sensibiliser les gens au fait que parfois, échanger quelques mots avec ces personnes leur font du bien. On a tendance à les ignorer, voire les mépriser, et ces regards méprisants détruisent la confiance en soi. C’est difficile de reprendre espoir, et quand on perd espoir, on perd tout.

Je me sens impuissante face à leurs souffrances, car j’ai écrit ce poème, consciente que, concrètement, rien ne va changer. A notre niveau, nous pouvons leur accorder du temps, discuter avec eux, donner de notre personne à défaut de ne pouvoir donner autre chose. Leur donner un peu de repos, un répit dans leur souffrance.

Il en est de même dans la vie. Nos amis ne nous donnent pas d’argent généralement pour palier à nos problèmes. Quand on se sent mal, nos amis nous aident en nous offrant leur présence. L’échange, la relation humaine, savoir que nous ne sommes pas seuls, se sentir considéré. C’est sûr, ce n’est pas en échangeant quelques mots avec un sans-abri que nous changerons leur vie, mais nous ne savons pas quel réconfort cela peut leur apporter, ni ce que cela peut déclencher. Une phrase d’encouragement donne de la force, une personne peut sortir, un temps, de sa tristesse, grâce à la bienveillance et le pouvoir des mots.

Marie Inaya Munza

Vous avez consacré un poème aux migrants dans Frères migrants et aux personnes en situation d’exil dans Récit d’un exilé. Ces deux thèmes sont en corrélation, dans le sens où lorsqu’une personne quitte son pays, elle espère une vie meilleure dans un autre pays. C’est comme si elle s’exilait, en quelque sorte, pour son bien et le bien de sa famille. Que pensez-vous du parcours et des difficultés rencontrées par les et les exilés ?

Je suis très admirative de ces personnes, qui sont prêtes à tout, même à braver la mort,pour subvenir aux besoins de leurs proches. Tout le monde n’est pas capable de faire ça. Je trouve révoltant que ces personnes soient méprisées une fois arrivées en “terre promise”. Ce sujet me touche, car même si je ne suis pas arrivée en France dans ces circonstances, j’aurais pu en faire partie. C’est juste une question de chance. J’ai eu la chance d’arriver en France dans des conditions classiques disons, mais ça aurait pu se  passer autrement.

J’essaie de me mettre à la place des autres et de comprendre pourquoi ces choses arrivent. Les migrants font un chemin difficile et espèrent une vie meilleure; on ne peut pas leur en vouloir. Ce sont des récits qui nous bouleversent, puisque dès leur arrivée en France ou partout ailleurs, ils sont humbles et font tous les métiers que les résidents français eux-mêmes ne veulent pas faire. Parfois, ils sont mal payés, ils travaillent dans des conditions compliquées … Des statistiques prouvent que les migrants rapportent plus
d’argent à la France qu’ils en font perdre.

Quand je vois comment ils sont traités, alors que beaucoup participent à reconstruire la France… On en retrouve beaucoup dans les chantiers, embauchés en toute connaissance de cause par des employeurs qui les exploitent, parfois même les maltraitent… le Récit d’un exilé pourrait être mon récit.

Qui, dans une situation de guerre, de misère, n’aurait pas envie d’aller ailleurs pour avoir une meilleure vie et sauver les siens ? Pour moi, il n’y a pas à s’interroger à ce sujet.
Certains se disent “Est-ce qu’on doit accueillir toutes les misères du monde ?” Ces personnes, qui disent ça, je les mets au défi d’être dans un pays en guerre, de se retrouver face à une frontière avec quelqu’un qui leur tient ce discours. Dans ce genre de situation, tout le monde agirait de la même façon.

C’est un instinct de survie que certaines personnes ne ressentiront jamais; elles ne pourront jamais savoir à quel point c’est difficile. Ces personnes, qui méprisent migrants et exilés, elles-mêmes seraient heureuses d’arriver dans un pays qui les accepte, si elles avaient été dans cette situation. C’est facile d’avoir des propos détachés et méprisants quand on est dans son confort. Elles sont certainement conscientes que la situation des migrants est difficile. Toutefois, ça semble facile pour elles de fermer les yeux sur la souffrance des autres. Il faut croire que, tant que ça ne les concerne pas, de nombreuses personnes sontdouées pour ignorer ce que vivent et endurent les autres.

Marie Inaya Munza

Le poème “Reine africaine” est un hommage à la femme noire et à tous les combats qu’elle a menés pour gagner son indépendance. Pouvez-vous nous raconter votre combat en tant que femme et en tant qu’artiste noire ?

Au-delà de l’écriture, qui est une forme d’engagement, mon combat est quotidien : je me bats dans le monde du travail, je me bats pour faire évoluer les mentalités. Je milite, autant dans mes écrits qu’en tant que personne, pour qu’hommes et femmes noirs ne soient pas associés, du moins, limités, à quelque chose d’exotique. J’aimerais que les noirs aient cette diversité et puissent prendre une part dans l’histoire.

Je veux mettre en lumière des profils d’hommes et de femmes noirs qui réussissent et qui ont cette double culture.Cette notion est très importante à mes yeux : on peut se considérer français et être fier de sa culture africaine. Je souhaite ainsi mettre un coup de projecteursur ces talents, issus de la diaspora, qui embrassent un certain optimisme.  Quand on est optimiste, on met de l’espoir dans tout ce qu’on entreprend, et atteindre notre objectif est alors la seule chose qui nous anime. Même si on n’atteint pas notre objectif, nous évoluons en tant que personne, et nous faisons évoluer aussi les mentalités autour de nous.

Aujourd’hui, mon combat est de donner la voix à des hommes et des femmes noirs dont onne parle pas suffisamment, qui manquent de tribunes et qui, pourtant, ont des messages importants à véhiculer pour la France et au-delà. Ce sont des êtres humains quirevendiquent une place, pourtant évidente dans leur propre pays. De ce fait ils doivent porter le message et le revendiquer plus fort que certains pour se faire entendre et se faire une
place.

C’est important de donner les moyens à ces personnes pour qu’elles puissent développer leurs idées. Porter ces personnes les aide, elles, et aide tout le monde : auteurs comme
lecteurs.