Interview de Benny Aguey-Zinsou par Badi Huchet

Nous sommes avec Benny Aguey-Zinsou, 37 ans alias (BAZ).

Selon Benny Aguey-Zinsou, le virtualisme est un “mouvement artistique, intellectuel et politique qui axe son étude créative, sa critique et son analyse autour de la Subjectivité Humaine à l’Heure des Progrès Technologiques et du capitalisme mondial.”

Le livre Virtualisme a été publié le 15 avril 2014 aux Éditions Alfabarre.

Benny, Hiver 2016

1) Que pensez-vous du « décalage entre la richesse du savoir dont l’homme a hérité et l’état du fonctionnement politique et économique de nos sociétés modernes  » ?

 

C’est une problématique intellectuelle proprement virtualiste, c’est-à-dire que nos avancées intellectuelles, philosophiques, culturelles et historiques ont normalement hérité d’assez de sagesse pour accomplir des sociétés vertueuses, et on est pourtant dans des sociétés basées sur les minorités qui ont une grande majorité de pouvoir. Il est difficile de quantifier ce décalage avec des chiffres et des nombres mais on peut le remarquer lorsqu’on a joui de beaucoup de connaissances, héritées de toutes ces avancées scientifiques. Ce décalage se fait entre la société actuelle qui serait considérée comme une prison pour le virtualisme et l’héritage du virtualisme, ou l’héritage de l’Occident et des autres cultures du monde, des avancées scientifiques, cognitives et sacrées; cela dépend aussi de la façon dont tout cela est appréhendé. Ce décalage se comprend au travers d’exemples très simples de la vie quotidienne, avec tout ce qui serait possible de faire pour améliorer nos vies et avoir moins de dépenses collectives, ou tout ce qui est fait pour entretenir des vies assujetties à ces minorités qui sont au pouvoir, qui monopolisent les médias, la parole, la conscience humaine et toutes ces avancées.

Par ailleurs, on peut tous constater qu’on a fait de très grands progrès du point de vue des sciences dures (physiques, mathématiques), beaucoup d’observations scientifiques antérieures à nos progrès humains. Des progrès sont vérifiés par différentes disciplines et pourtant, on exploite à peine ces nouvelles informations. Autant pour les progrès humains (sur les comportements par exemple) que pour les progrès technologiques, ils pourraient nous servir à beaucoup de choses intéressantes mais finalement, ils ne sont pas accessibles et monopolisés par ces minorités au pouvoir, ou ces minorités qui ont le capital pour s’offrir des services onéreux.

 

2) Vous parlez de crise identitaire, de subjectivité presque neuve. Pensez-vous qu’hommes et femmes doivent partir à la quête de leur histoire pour savoir qui ils sont ?

 

Pour leur histoire, il faut savoir que chaque personne a son histoire propre, histoire familiale, histoire généalogique, histoire culturelle, histoire des origines coloniales ou pas, ou l’histoire des philosophes. Dans les années 1800, il existait des personnes qui n’étaient pas du tout racistes dans l’empire occidental et qui étaient des grands savants. Les personnes qui ont conscience de ce dont elles héritent livrent aussi des avis sur la colonisation de ces scientifiques à l’époque et montrent depuis combien de temps on a conscience de notre humanisme et de notre appartenance à une seule humanité, à un seul grand tout naturel, et comment ces connaissances peuvent aussi être occultes pour des domaines commerciaux, devenir des stratégies de guerre économique par rapport aux productions économiques et aux tentations de posséder les gens dans des actes de consommation.

On peut parfois apprendre de gens qui ne font pas partie de nos origines mais qui sont fraternelles à nos finalités historiques et identitaires propres. C’est cette question que l’on devrait mettre en avant : “Hérite-t-on d’une philosophie libératrice émancipatrice et dans ce cas-là, de toutes les connaissances qui peuvent l’enrichir, l’épanouir, la développer, la faire croître, la rendre abondante, la rendre donneuse comme une mère nourricière, est-ce que c’est ça, notre identité historique dont on hérite, ou hérite-t-on finalement de progrès scientifiques qui nous mettent de plus en plus en danger, qui nous enferment de plus en plus ? Je pense à la bombe atomique ou aux bombes bactériologiques, aux bombes de destruction massive qui sont très graves et dont on a atteint le contrôle depuis les années 80 approximativement. Par rapport à cet héritage, utilise-t-on les progrès de façon à nous travestir de ce qu’on est ou les voit-on comme émancipateurs, qu’est-ce qu’ils permettent ? C’est donc difficile de partir à la quête de son histoire, si ce n’est l’histoire des connaissances qui a avancé et dans lesquelles on a envie de se reconnaître. Qu’est-ce que ces connaissances nous permettent à tous, même si on ne s’y intéresse pas puisqu’on en hérite en tant qu’humain ? C’est plus sur le plan humain que sur le plan communauté qu’il faut s’intéresser à son histoire, même si sur le plan communauté, ça peut faire du bien de savoir que cette dernière se reconnaît dans les mêmes connaissances.

 

3) Que pensez-vous du virtualisme dans les jeux vidéos ?

 

Cela dépend des jeux vidéos : détaillés, propices à l’évasion, fantaisistes; ce sont des passages à l’acte où la puissance de réalisation se troque dans la réalisation d’un jeu vidéo dans tout son idéal à la place de se réaliser, soi, en tant que subjectivité et héritage humain, dans sa localité avec d’autres personnes, des machines qui permettraient de construire ce dont on a besoin. C’est une des expressions des simulations virtuelles de la subjectivité, mais aussi de barbarie car dans certains jeux, il y a beaucoup de guerres, de barbaries, justifiées à travers des philosophies très pauvres dans l’invention des connaissances humaines. J’en sais quelque chose car je suis quelques mangas en ce moment et j’en vois quelque chose de la profondeur pauvre de la philosophie des guerres à travers un manga animé qu’on suit sur le web. Pour un jeu de guerre, manga ou occidental, il y a de très grandes pauvretés sur l’origine de la guerre, la question philosophique de la guerre. Une telle pauvreté traduit parfois la reconnaissance d’un souhait, le souhait de la réalisation d’une puissance barbare de soi à travers un jeu. Des fois, ce sont des puissances subtiles qui sont transformées dans un divertissement barbare du jeu vidéo. On peut voir ça aussi quand on connaît quelqu’un et son intelligence propre : on connaît des personnes qui sont très intelligentes et qui s’évadent dans des divertissements qui le sont moins.

 

4) Comment pensez-vous qu’il est possible de passer d’un virtualisme des valeurs à des valeurs effectives ?

 

Les valeurs effectives sont déjà dans les valeurs défendues par le virtualisme. Ce sont des valeurs très humanistes en tout temps. En même temps, elles sont en confrontation avec des puissances barbares et le virtualisme se dévoile dans toute sa puissance avec une très grande pauvreté. On est aujourd’hui dans un monde où il y a une monopolisation du capitalisme et de l’économie mondiale actuelle. Aujourd’hui, toutes les grandes guerres entre idées philosophiques sont tronquées par le monopole économique mondial actuel. Les valeurs du virtualisme sont évidentes pour presque tous mais très rarement vécues, si ce n’est dans des phénomènes de mise en réseau, de fuite dans des sphères numériques ou de progrès d’autre nature. Les valeurs concrètes du virtualisme sont concrètes bien avant le virtualisme. Aujourd’hui, on arrive à des héritages qui permettent de réaliser ces valeurs concrètes plus facilement. Mais elles permettent aussi de nous mettre dans un cocon où le progrès sert à nous endormir et à laisser cette réalisation de l’humain l’empêcher de l’atteindre, au profit du commerce des technologies.

 

5) Le virtualisme prend-il en compte la notion virtuelle telle qu’elle existe dans le digital ?

 

Je peux reprendre pour cette question une définition intéressante, que j’ai écrite et publiée dans mon livre Le Virtualisme, une définition : “La virtualité en général, c’est par exemple aller dans une salle de cinéma avec des lunettes 3D qui nous permettent de nous croire réellement dans un monde qui n’existe pas vraiment. La virtualité tend donc à se prétendre comme une nouvelle réalité en théorie, car la subjectivité humaine peut s’y croire totalement pendant un certain laps de temps. Nous pourrions également citer les exemples de simulation virtuelle totalement fidèle au pilotage réel d’un avion, certains jeux vidéo ont aussi pour objet de simuler des guerres qui se sont réellement produites dans l’histoire : Call of Duty pour la guerre 39/45. Mais selon le virtualisme, le virtuel a réussi à prétendre à la réalité lorsque nous avons la capacité réellement et très rapidement, ce qui nécessitait avant un certain temps et un certain savoir-faire irremplaçable, artisanal, divers et varié. Des industries jusqu’au domaine du textile, cette capacité de pouvoir façonner les choses à notre image et à notre guise nous permet, par exemple, de créer une multitude de microclimats subjectifs très hétérogènes où une multitude d’univers subjectifs s’offrent à notre perception, quitte à atteindre le degré de l’illusion. Se voir ou encore se croire migrer presque instantanément d’un monde subjectif à un autre, c’est avoir, grâce aux nouvelles technologies, un potentiel subjectif ou encore un potentiel de migration intersubjectif ultrarapide que nous pourrions cataloguer de virtuel. Quels sont les enjeux identitaires d’une telle mutation de subjectivité humaine qui hérite de tous les patrimoines humains de l’histoire ? A cette heure, nos capacités politiques et purement matérielles d’agir sur notre environnement sont amoindries symétriquement avec l’épanouissement des très nombreux climats subjectifs. De façon équivalente à ces capacités de transformation du réel, notre super subjectivité se retrouve dans l’incapacité d’influer sur notre avenir propre.”

La notion virtuelle se remarque ainsi dans le virtualisme dans les phénomènes quotidiens qu’on aborde. Même quand on va dans un bar et qu’on est servi, avec une certaine décoration du lieu, de la musique en fond, ou dans les supermarchés avec la musique en fond, on voit quel est notre rôle alors qu’on a des comportements déterminés par des rôles et des comédies. On n’a pas le même comportement d’un endroit à l’autre. Mais ce sont toujours des réalités qui sont virtuellement vécues parce qu’on n’a pas le pouvoir d’influer sur l’avenir, ou du moins sur notre avenir dans ces lieux. Il y a des règles à respecter, des protocoles assez mystérieux d’une certaine manière; c’est l’expression de l’étrangeté, de la part d’étranger que l’autre a envers nous que l’on paie. C’est pour ça que dans un bar, si on connaît le serveur et qu’il nous sert un verre gratuitement, on reconnaît en quelque sorte la fraternité de quelqu’un dans un lieu autrement plus privé au niveau de l’identité dont on peut jouir et par rapport à la rentabilité que doit faire le propriétaire du bar. Il doit atteindre un seuil de rendement qui l’oblige à être lui-même étranger à sa propre création d’entreprise.

6) Dans des faits divers, Marjorie, cette jeune adolescente tuée par un voisin il y a quelques mois. Doit-on dire que le virtuel a impacté le réel dans sa vérité la plus crue

 

Des faits de ce genre ont été vécus très souvent, cela choque plus maintenant qu’on a des sphères où on s’évade et on vit une civilisation des identités dans une sphère virtuelle. Il y a beaucoup de choses qu’on vit ou qu’on aimerait vivre qui ne sont pas publiées médiatiquement. En effet, dans le passé, les médias étaient plus directs, c’était moins subtil dans les diversités médiatiques qui sont données.

Avant, au sujet des médias, il n’y avait qu’une réalité, il y avait un seul média, un seul parti politique presque, qui faisait opposition aux partis politiques que l’on combattait. Il y avait une réalité actuelle qui était très claire, alors que maintenant, la réalité est très diversifiée : veux-tu aller plutôt vers le divertissement pour t’informer ? Ou plutôt développer ton intelligence et t’informer auprès de nouveaux penseurs comme sur France Culture, chaîne grâce à laquelle tu vas plutôt mobiliser et faire fructifier ta puissance intellectuelle ? Aujourd’hui, tu peux aller dans beaucoup de médias différents et te faire ta propre réalité médiatique virtuelle et réelle. Des personnes écoutent la radio pour s’informer de nouvelles et d’autres dans des radios plus musicales que médiatiques, même si ces dernières passent de temps en temps les informations.

Ce genre de réalité peut influer sur le réel mais toujours avec ses limites. On ne peut pas s’épanouir dans le réel au-delà de ce qui nous est octroyé dans le monde qu’étudie le virtualisme et dans le monde virtuel qu’on nous propose.

Ainsi, le virtuel a impacté le réel car il y a plusieurs façons d’aborder le réel. Avant, le réel comprenait les médias, les livres, la vue presque collective de l’actualité mondiale et internationale. Maintenant, il y a plusieurs façons d’aborder le réel, de voir le développement de sa logique la plus fidèle au progrès de ce qui nous est caché, au travers de nombreux médias.

Marion Robinel