Interview d’Aminata Aidara de Badi Huchet

D’origine italo-sénégalaise née le 20 mai 1984. Attirée par le monde des lettres, vous avez effectué des études supérieures en littérature française à l’université de la Sorbonne. Vous avez obtenu votre doctorat en 2016 avec une thèse intitulée : « Exister à bout de plume ». Un recueil de nouvelles migrantes au prisme de l’anthropologie littéraire

Grâce au concours littéraire donnant le nom à ce recueil, vous avez pu créer le corpus principal d’un projet de thèse où vous mettez en avant une communauté de jeunes Français issus de l’immigration se lançant dans l’écriture de poésies, slams, pièces de théâtre, mais surtout nouvelles.

« Je suis Quelqu’un » est votre premier roman, à la fois sensible et percutant, où vous retracez le passé et le présent d’une famille bouleversée par un secret enfoui au plus profond de son histoire.

J’ai quelques questions à vous poser :

Pourquoi « Je suis quelqu’un » ?
Et bien pourquoi pas ? (En riant). Je pense que toute personne est quelqu’un et souvent on oublie que chacun peut exister de façon différente selon les périodes de sa vie, selon ce qu’il décide d’être. C’est à nous de dire ce qu’on est et ce qu’on a envie d’être. Se donner les moyens de changer notre identité.
Pourquoi la majorité des personnages de votre livre sont tourmentés ?
S’ils n’étaient pas tourmentés, ils ne seraient pas dans mon roman.

Beaucoup des personnages de votre livre sont du Sénégal ou d’origine sénégalaise. Une grande partie de ce livre ne serait-elle pas une photographie du bouleversement que rencontrent les Sénégalais arrivant du Sénégal et ceux d’origines sénégalaises ?
Cela pouvait être aussi des personnages qui arrivaient d’un autre pays qui n’est pas un pays Européen. Ce n’est pas le fait qu’ils soient sénégalais qui compte. Ce qui compte c’est qu’ils vont du Sénégal vers la France. Ce rapport post-colonial. Mon objectif était de raconter l’histoire d’une famille. Forcément, ça raconte aussi beaucoup de la société, mais le portrait social n’était pas l’objectif ciblé.

Vous décrivez plusieurs fois les « confrontations » qui peuvent se produire entre les « immigrés » ou « descendants d’immigrés » et la famille restée au pays – entre culpabilité, désir de rejet ou d’oubli, envie de retour, regret et nostalgie d’un côté et rancœur, jalousie, manque de l’autre et devoir, voire obligation financière pour la famille restée au pays de l’autre.
C’est pour cela que les familles de la diaspora sont intéressantes. Ce qui est intéressant c’est la nature de leur histoire familiale traversée par l’Histoire de plein fouet. Les relations entre les générations, il y a ceux qui restent au pays et ceux qui immigrent. Les positionnements des personnages ont un lien avec la situation socio-politique contemporaine. Chaque personnage jongle entre essayer de se libérer de son contexte historique et l’assumer. Qui plus qui moins, tous, ils essaient de lui faire face.

Avec ce livre, ne souhaitiez-vous pas mettre en lumière l’intersection que représentent vos origines et votre pays de résidence ?
Oui surement, j’avais écrit un recueil de nouvelles en Italie ou je mettais l’accent aussi sur l’intersection représentée par mes origines et mon pays donc de naissance, l’Italie. C’est suite à mon changement de pays que j’ai décidé d’analyser la réalité en France aussi.
Les personnages de mon roman se demandent ce que la société peut leur donner pour les aider à se construire au mieux de leurs potentialités.

N’est-ce pas une représentation de la réalité ?
Si on veut, c’est l’histoire d’une famille donc comme toute famille, j’imagine il y a des côtés ou on peut voir la société, on le voit dans le langage par exemple.

Est-ce que l’identité est un sujet tabou ?
Je pense que le plus grand problème, c’est que par exemple en France et en Italie on veut bien parler de l’identité nationale, c’est-à-dire l’identité française ou encore italienne. Mais, on refuse de parler de l’identité des autres populations, vue comme du communautarisme. Les personnes, souvent quand l’identité les concerne directement, ils sont pour la nommer, mais quand c’est pour l’attribuer aux autres, ça fait un peu peur. Pour moi, le problème de l’identité est que ce concept est perçu comme un tout homogène, fixe, contre les variations historiques. C’est un mot qui a été mal utilisé, mal connoté. Personnellement, ce n’est pas un mot auquel je suis attachée, dans le sens ou si on lui donne la liberté d’être une identité changeante, mouvante, OK. Mais, si c’est pour supprimer tout dialogue possible, toute remise en question du contenu, de cette identité, je suis contre. Par contre, ce que je trouve intéressant dans cette idée, c’est de se dire que dans toutes ces identités, la différence est quelque chose de positif, c’est-à-dire qu’on est tous égaux, mais on est tous différents et cela il faut l’accepter, mais je crains que parfois dans l’identité, il y a une difficulté d’aller vers l’autre et une envie de hiérarchisation.

Comment vit-on avec trois cultures différentes ?
Personnellement, je le vis très bien, car c’est riche. Ça m’amène à être dans un questionnement quotidien, des réflexions par rapport à l’éducation de mon enfant, notamment. Je fais ma cuisine tous les jours, on va dire. Je choisis ce que je garde et ce que je laisse.

Que voulez-vous incarner dans la psychologie des personnages ?
Je ne sais pas mais chaque personnage a sa psychologie. Quand j’ai commencé à écrire ce roman, je vivais avec deux voix dans ma tête. Estelle représentait un personnage tourmenté alors que Penda représentait un personnage nostalgique (on le voit bien dans son journal intime, ce qui lui permit d’analyser son passé…)

Est-ce que le passé nous rattrape tôt ou tard ?
Je crois bien que oui, mais je pense surtout que nous le rattrapions pour régler son compte. On s’adresse au passé, je pense que beaucoup de gens le font tôt ou tard.

Quel est votre rapport à la littérature ?
Je pense que la littérature est quelque chose qui nous accompagne dans la vie, nous les lecteurs et elle nous aide à avancer. C’est une vie parallèle pour moi. Lire un livre c’est toujours avoir plusieurs vies, grâce aux livres on peut vivre sa vie et en avoir d’autres a cotés. Moi, quand je lis des livres, si je les aime, je les vis pleinement. Je peux pleurer, je peux rigoler, je peux me sentir inquiète par rapport à un personnage et vivre une journée un peu stressée en ne sachant pas qu’est-ce qu’il va faire après. C’est quelque chose de très vital.

Vos origines ont-elles un lien avec votre écriture ?
Non je ne pense pas particulièrement, après si on parle des origines familiales de façon large, peut-être que oui. Dans mon cas, effectivement ma mère a toujours aimé lire, j’ai toujours eu des livres à la maison que j’ai pu consulter. Après, je suis la première de ma famille à avoir écrit un roman, ou à avoir écrit des nouvelles. Je me suis nourrie dans mon écriture plus des questionnements de la culture sénégalaise (pour l’instant en tout cas) que de celle Italienne. Le but étant d’écrire des histoires qui n’étaient pas forcément valorisées dans l’univers occidental.

Pour vous quelle est l’importance des origines ?
Bah celle qu’on lui donne, les origines sont inscrites dans nos visages, dans nos habitudes si on vient d’une culture autre que celle du pays dont on réside. Si on est italien et notre famille a des origines italiennes vient d’Italie, on se rendra compte véritablement de ces origines quand on ira ailleurs. Elles prennent leur importance quand on se déplace, on voyage.

Comment trouvez sa réelle personne ?
En continuant de se chercher, c’est le fait de se questionner toujours qui permettrait de trouver sa réelle personne.

Jusqu’où votre livre « Je suis quelqu’un » autobiographique ?
Les côtés plutôt autobiographiques sont les lieux, j’ai décrit la réalité parisienne que je connais bien et que j’ai côtoyée, que j’ai fréquentée, que j’ai habitée pas mal de temps. Je parle de parcs, soit de rues dans lesquels j’ai été plongée pendant des années. Le fait qu’il y ait 3 pays qui sont valorisés, l’Italie la France, le Sénégal, c’est un autre élément autobiographique.

Badi Huchet